« Les aînés ne sont pas derrière nous. Ils sont devant nous. Les aînés ne sont pas notre passé. Ils sont notre avenir. Ils sont déjà rendus là où l’on s’en va. Ils nous ont devancés. Ils ont marché avant nous. »
Stéphane Laporte, ‘Vive les vieux !’ (1)
Au cœur de la pandémie de coronavirus, des situations de vie en résidences pour personnes âgées se mettent à faire la manchette. Il y a du bonheur qui se perd de ce côté.
Quelle valeur accordons-nous à nos aînés ? Nos modes de relation et d’organisation entre générations s’en suivent. Comment faire autrement comme société ?… Un beau laboratoire de créativité nous attend…
→ Mes contacts avec des résidences d’aînés
Ma mère a vécu en CHSLD (2), après qu’elle n’ait plus été capable de tenir maison. J’ai eu le bonheur de la visiter à tous les jours durant ses deux ans de séjour, avant qu’elle décède.
Encore aujourd’hui, j’aime y faire de temps en temps de la musique avec quelques amis mélomanes, au repas du dimanche midi. Vous devriez voir certains résidents dont le regard s’allume soudain, quand ils entendent une chanson « de leur jeune temps », qu’ils se surprennent à pouvoir murmurer encore ! Leur émotion monte, palpable.
J’ai aussi un oncle très âgé, qui vit dans une résidence pour aînés à la campagne. J’y ai côtoyé des accompagnants chaleureux, qui semblent ne pas oublier qu’ils ont affaire à des personnes — comme s’ils s’adressaient à leur mère ou à leur père. Ça ne m’étonnerait pas qu’on y souligne les anniversaires et qu’on y trouve bien des occasions d’endimancher les semaines qui passent.
J’ai aussi côtoyé des détresses évidentes : des gens qui n’ont jamais de visite, des gens aux yeux éteints qui n’existent pour personne, comme en dehors de la vie. Pour certains, en les quittant, je me suis demandé à quand pouvait bien remonter leur dernier fou-rire. Ou qui déjà a pris la peine de faire appel à leur expérience de vie.
Le besoin d’un chez-soi restera toujours au cœur de nos raisons de vivre, je crois bien. Qui d’entre eux, si on leur demande « Comment ça va ?… », en les regardant bien dans les yeux, répondraient spontanément « Je me sens chez nous ici » ?…
N’y a-t-il pas là quelque correspondance avec notre vie sociale ?… Je me questionne en effet sur le mode de vie et de relations que nous en sommes venus à considérer normal avec nos aînés en perte d’autonomie. Au point qu’en prenant de l’âge ou en vivant une première défaillance de santé, bon nombre d’entre nous se mettent à anticiper un avenir déprimant, entrevoient qu’à leur tour ils seront mis sur une voie d’évitement. Un parfait terreau pour envisager l’aide à mourir… Avons-nous vécu toute cette vie pour en arriver là ?…
Un contexte de pandémie qui allume des clignotants
Bien sûr il ne faut pas généraliser à toutes nos résidences pour aînés. Et le contexte actuel de pandémie crée des réductions de personnel, d’équipements; une acrobatie n’attend pas l’autre pour répondre à tous les besoins.
Des intervenants sont admirables, y risquent même leur propre santé au moment où j’écris ces lignes. Reçoivent-ils l’appréciation et le salaire qu’ils méritent ?… Un virus qui prolifère nous alerte sur un déséquilibre quelque part. À l’heure où certaines professions pètent des records de salaire, que des actionnaires et des chefs d’entreprise accumulent les dividendes, allons-nous comprendre qu’il nous faut revaloriser les soins apportés aux personnes ?
Redécouvrir l’intergénérationnel : un laboratoire de créativité sociale
Notre passé rural nous a fait vivre longtemps la cohabitation et les fréquentations intergénérationnelles. Et nous sommes un peuple réputé pour sa créativité. L’occasion est là de la mettre à profit, en y intégrant l’expérience de cultures restées plus communautaires — comme celles de nos Premières nations et de nos concitoyens issus de l’immigration : elles ont su entretenir des maillages organiques entre les générations, valoriser les grands-parents auprès des jeunes enfants, transmettre leurs sagesses tandis qu’elles sont disponibles encore.
Je suis moi-même frappé de tous les témoignages entendus de gens ayant vécu des enfances difficiles, et qui doivent à un grand-parent d’avoir repris pied et confiance en la vie.
Imaginez avec moi qu’au sortir de la pandémie nous nous mettions à colporter plein d’expériences heureuses à caractère intergénérationnel; que des grappes de jeunes nous reviennent enchantés d’avoir recueilli, auprès de personnes âgées vivant en résidences d’aînés de leur entourage, des récits de leur jeune temps, puis rapportent ce matériel pour alimenter l’un une conversation familiale, l’autre une production scolaire…
J’ai justement participé à ce genre de projet, il n’y a pas longtemps. Un heureux livre en est sorti : Les histoires de Mamie et Papi. Je vous en ferai volontiers part dans un prochain article…
Où en sommes-nous dans nos valeurs et nos priorités sociales ?
Oui, notre société est secouée : c’est ici que la phrase-choc de Khalil Gibran mérite d’être réentendue : « Une seule feuille ne jaunit jamais sans l’accord de tout l’arbre ». Nous découvrons des réalités difficiles à admettre mais qu’il nous faudra bien regarder en face.
Avec d’autres, il m’arrive de me dire que si la pandémie a permis ce temps d’arrêt, qu’elle déclenche des prises de conscience salutaires, elle aura été aussi une bénédiction.
Nous sommes en train d’ajouter des années à la vie : certains scientifiques entrevoient une espérance de vie de 150 ans à l’horizon !
Quand on voit l’engouement qui s’est développé chez nous pour l’aide à mourir, s’agit-il bien d’une espérance de vie ?… Est-ce pour ça que nous sommes venus sur cette planète ?… Et si nous mettions ensemble plus d’énergie du côté de l’aide à vivre…
Les jeunes centenaires d’Okinawa : un documentaire parlant
Si vous aimiez découvrir une société où les centenaires sont légion et rayonnants, voici une vidéo évocatrice : La force de l’âge. Elle nous amène sur l’archipel d’Okinawa, au sud du Japon. Ce documentaire (51 min.) témoigne de façon éloquente qu’un grand âge heureux est possible. Sauf qu’il se tricote de longue haleine, dans une collectivité préoccupée de nourrir à la fois l’exercice physique, l’état d’esprit, la coopération intergénérationnelle et la quête de sens.
Denis Breton
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(1) Le texte complet vaut le détour !
(2) CHSLD : acronyme de Centre d’hébergement et de soins de longue durée.
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