Pour faire le voyage…
Si vous n’aviez qu’une seule chanson pour inspirer un voyage qui vous tient à cœur, laquelle mettriez-vous dans vos bagages ?…
Après avoir écouté, réécouté des dizaines de fois la chanson qui suit, ce serait la mienne aujourd’hui. Elle me chante ce que je connais de meilleur du voyage de la vie. Je m’en suffirais comme boussole pour la suite de la mienne. Et j’aurai grand bonheur à la chanter à celle que j’aime…
Vous avez peut-être deviné qu’il s’agit de ce chef-d’œuvre d’Yves Duteil : Et si la clé était ailleurs ? Je vous invite à l’explorer avec moi de plus près. Prière de de vous déchausser les idées avant d’entrer dans ce… testament d’une vie, je dirais…
→ Et si la clé était ailleurs ?
par Yves Duteil
Chaque jour le temps nous trahit
Et nous promet d’être immortel
Mais sur le seuil du Paradis
C’est vers l’Enfer qu’il nous appelle
Et c’est lui qui nous fait défaut
Il nous apprend dès le berceau
A nous hisser jusqu’aux étoiles
En bâtissant des cathédrales
Puis en nous regardant vieillir
Nous débattre et nous affaiblir
Il reprend ce qu’il a donné
Le présent ne sait que passer.
Il nous parle d’éternité
Derrière sa faux bien affûtée
Il nous fait croire qu’on nous retient
Puis il nous glisse entre les mains
Mais si la clé était ailleurs
Dans l’infini ou dans nos cœurs ?
Et si rien n’existait vraiment
Sinon ici et maintenant ?
2
A présent je sais que le pire
Ce serait de ne pas vieillir
D’arriver là où tout s’achève
Sans pouvoir terminer mon rêve
Puisque les jours nous sont comptés
Je voudrais vivre à tes côtés
Ce qui reste de temps humain
Sans jamais te lâcher la main
L’hiver peut bien venir un jour
Rompre le fil de cet amour,
Effacer l’ombre de nos corps,
J’aurais tissé d’autres décors
Et gravé ces instants volés
En mots, en notes et en pensées,
Pour pouvoir les chanter encore
Beaucoup plus loin et bien plus fort
Dans l’infini ou dans nos cœurs
Et si la clé était ailleurs ?
Défier la mort et rassembler
Les milliards de grains de beauté
Disséminés dans l’univers ?
Et l’amour qu’il reste à donner
Pour l’offrir à l’éternité (Bis)
Défaire le fil de la chanson…
Temps, éternité, instant, amour, durée, mort… « Ouf !… » Un rendez-vous de taille tout en même temps… J’ai eu besoin de mâcher ce texte pour moi-même. Peut-être aimerez-vous que je vous partage ce qui est monté.
Séduit, je n’étais pas pressé : j’avais eu le bonheur de rencontrer Yves Duteil à Québec, et à son contact direct de ressentir que sa vie et ses chansons sont la même chose : il chante une expérience mûrie, nous amène dans une maison habitée.
Peu à peu la chanson s’est révélée, comme une brume qui se lève lentement sur un lac …ou comme un tissage : sous les mots, des laines qui s’entrecroisent, chacune nous parle de notre quotidien intérieur : frustration du temps qui passe, soif d’un amour qui dure, malaise de se voir vieillir… Quel pont de sens construisait-il entre tout ça ?… Sûrement on était loin d’un chapelet de vertus à pratiquer.
Je ne m’étais pas trompé : il nous offre ici une vie qui s’est trouvée. Sa recherche de sens apparaît comme un labyrinthe dont on finit par trouver la carte.
Du coup il nous donne envie de faire la carte de la nôtre. *
Voyons ça de plus près…
Où trouver le maillon de raccord ?
Duteil nous replace devant notre écartèlement de toute une vie : à un bout, les défis des événements qui se succèdent, comme les balles de ping-pong qui nous bombardent trop vite pour arriver à esquiver tous les coups. À l’autre bout, une soif-racine qui nous parle d’un ailleurs, d’un terrain de jeu plus grand, d’une durée chargée de tellement plus de sens que celui tricoté par la succession de nos peurs. Avec pour récompense des bonheurs bien éphémères, au prix de nous écorcher les poignets et d’avoir envie de descendre du train.
Où trouver la clé ?… La beauté de cette chanson à mes yeux est de ne pas s’arrêter à questionner la vie, mais d’oser proposer un filon de réponse — aussi lumineux que simple à comprendre — mais qui reste l’histoire d’une conquête.
La chanson nous donne un début d’adresse : « …dans l’Infini ou dans nos cœur ». Déjà le champ se restreint : c’est au moins ça de pris !…
Puis on comprend que ce n’est pas l’affaire de choisir entre l’infini ou nos cœurs, mais de trouver comment raccorder l’un à l’autre. À nouveau la chanson ose une réponse : c’est l’attention à l’instant.
Il serait donc là le pont entre ces deux extrêmes si difficiles à concilier dans le concret. Quand on se débat avec le moment présent, l’éclairer d’une perspective d’infini. Et quand notre rêve de sens nous paraît inaccessible, que nos soifs d’éternité nous semblent décrochées d’une vie de chair et d’os, leur donner des mains, des jambes, ici et maintenant…
J’aime bien qu’il n’y ait ici aucun moralisme, seulement l’écoute d’une soif logée loin au fond de nous. Et certains y retrouveront l’invitation de l’Homme de Galilée, il y a 2000 ans déjà : «Vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas du monde ».
Une clé pour maîtriser le temps ?…
Arrêter le temps, serait cesser de faire reproche au passé, cesser de s’inquiéter du futur : alors un bonheur devient à portée. Mais la chanson a encore quelque chose à ajouter : la conquête de l’instant, pour devenir enchanteresse et non étourdissement passager, a besoin d’une attitude, je dirais d’une altitude, pour lui fournir l’énergie nécessaire : seul le regard amoureux peut la lui donner. La présence à l’instant libère l’intuition, et c’est elle qui a une prise directe sur les inspirations qui nous viennent d’on ne sait où, mais de quelque chose qui nous dépasse pour sûr.
« On ne voit bien qu’avec le cœur » résumait le Petit Prince. Alors seulement notre soif de durée peut devenir semence d’éternité, et non fuite du temps…
..Jusqu’à défier la mort et continuer l’aventure de « rassembler Les milliards de grains de beauté disséminés dans l’Univers ».
Je me souviens d’avoir lu une pensée qui disait quelque chose comme : Si tu n’as rien à éterniser, tu n’auras pas d’éternité. Tu vas éterniser ce que tu as assez aimé… ». Je ne sais pas si Yves Duteil l’a déjà lue. Je sais qu’il vient de l’éterniser en chanson.
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* C’est un peu ce qui m’est arrivé à l’étape où je me suis captivé à écrire l’article Une bien belle histoire. Elle a donné naissance au site Croque-lumière.
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