Etty Hillesum, d’origine juive (1914-1943), a vécu une jeunesse heureuse en Hollande; elle s’est permis de goûter pleinement à la vie dans tous ses aspects. L’amour d’elle-même témoigné là, sa liberté intérieure, sont sans doute ce qui a fait — au moment où les Allemands parquaient des gens dans les trains de la mort — qu’elle a décidé de les accompagner au péril de sa vie. Ça l’a amenée à mourir au camp d’Auschwitz, à 29 ans.
Croque-lumière proposait déjà deux articles sur l’aventure de vie d’Etty. J’y reviens pour vous proposer la lecture d’un texte que nous offre Lise Gauvreau au sujet de cette femme — qui l’a passionnée elle aussi. Avec une compagne, elle en faisait récemment une lecture publique : Le kasàlà d’Etty Hillesum. Ce mot peu connu nous parle d’un hommage présenté à la façon africaine. C’est à la page PÊCHEURS DE PERLES, dans Croque-lumière.
→ Où Etty Hillesum puisait-elle sa force ?…
Il vaut le coup de rappeler ici certains éléments de contexte, sa double trajectoire : d’un côté sa solidarité avec ses compatriotes juifs de Hollande; de l’autre, son évolution spirituelle, puisée à même ce vécu.
Son contexte d’évolution, à la fin de la deuxième guerre mondiale
Pour sûr c’est dans sa recherche de sens et de communion avec plus large, plus profond, qu’Etty puisait une joie vivre étonnante, alors que l’injustice et la souffrance étaient partout autour d’elle. Son audace et son dépassement amoureux devenaient une même affaire.
Imaginons : à chacune de ses visites au camp de Westerbork pour remonter le moral des gens qui allaient partir en camp, elle ne savait jamais si cette fois elle elle y resterait coffrée. C’est ce qui a fini par lui arriver : elle est donc partie elle aussi dans un wagon plombé.
Des rescapés en témoignent même à cette étape : elle ne manquait pas une occasion de réconforter les gens angoissés, d’aider un et l’autre selon ses moyens, de faire parvenir des nouvelles aux familles en cachette.
Ressentir quelque chose de son élan citoyen et spirituel
L’originalité du texte de Lise Gauvreau, en plus d’être déclamé en public, est de parsemer cet hommage de citations tirées du Journal d’Etty. On y ressent la profondeur de sa communion avec les sources de la Vie, d’où sa confiance étonnante et sa solidarité, qui n’ont jamais flanché.
Si ce texte active quelque chose en vous, ne manquez pas de poursuivre avec la lecture de son Journal. À chaque page l’émotion monte : nous ne savons plus bien si notre admiration va à Etty …ou au tissu même de la Vie, quand on saisit ce qui alimente sa confiance en la sienne. *
Nuit et brouillard
Après les références, au bas, vous allez trouver la chanson-choc Nuit et brouillard, interprétée par Jean Ferrat, son compositeur. Les paroles suivent (elles peuvent être dures, on peut s’abstenir).
Denis Breton
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* –Le kasàlà d’Etty Hillesum, par Lise Gauvreau.
–Son Journal : Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, SEUIL , Collection : Points, 1995. (On annonce une version gratuite en .pdf)
– Appeler le soleil au milieu de la nuit : Dans Croque-lumière, un article sur comment Etty a influencé ma propre quête de sens.
Nuit et brouillard
Jean Ferrat
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été
La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs
Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir
Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues
Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers
On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours
Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire
Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare
Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter ?
L’ombre s’est faite humaine, aujourd’hui c’est l’été
Je twisterais les mots s’il fallait les twister
Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez
Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent